Posons-nous la question du rôle qu’est appelée à tenir une banque centrale à l’heure de la transition écologique. Nous nous intéresserons ici à la Banque Centrale Européenne (BCE), ainsi qu’aux leviers dont elle dispose afin de mettre efficacement en place une finance plus verte et responsable.
I. La BCE, qu’est-ce-que c’est ?
Mission. Créée en 1998, la Banque centrale européenne supervise la mise en œuvre de la politique monétaire européenne.
Objectifs. Ses objectifs sont simples et au nombre de trois :
→ Maintenir un niveau d’inflation stable d’environ 2% par an ;
→ Assurer une croissance constante de l’agrégat monétaire M3 ;
→ Garantir une stabilité des prix, créatrice de croissance économique.
Compétences. Afin de mettre en œuvre sa politique, la BCE dispose de plusieurs outils tels que :
→ La fixation du taux directeur (Taux Repo), lui permettant d’influer sur les taux pratiqués par les banques de détail, de gérer l’inflation et de contrôler la masse monétaire ;
→ La gestion des réserves monétaires, ce grâce à quoi elle assure le maintien du taux de change.
Il semble évident, avec l’importance de son rôle en Europe, que la BCE a la possibilité d’influencer fortement la transition écologique. De nombreuses propositions voient actuellement le jour, formulées par diverses associations environnementales et lobbys sociaux.
La BCE, en tant qu’institution européenne, se doit d’accompagner la transition qui se met en place. Elle se trouve ainsi dans une situation paradoxale en ce qu’elle doit mener une politique monétaire expansionniste, quand cette dernière pèse lourdement sur les modèles d’investissement long terme, et que les besoins de financement ne sont pas tous satisfaits. 90 000 milliards de dollars d’investissement mondial sont attendus d’ici 2030. Ces fonds devront être orientés vers l’économie verte afin de pouvoir mettre en place une protection efficace contre le réchauffement climatique.
Comment nos systèmes économiques pourraient-ils devenir plus résiliants face aux enjeux du changement climatique ?
II. Quelles solutions envisager ?
Parmi les diverses propositions existantes, nous nous arrêterons sur les quatre suivantes :
1- Intégration du risque climat dans les modèles macroéconomiques
Il est absolument nécessaire que la BCE intègre à ses prévisions le réchauffement climatique (+2 C°). À ce jour en effet, l’impact climat n‘est toujours pas systématiquement pris en compte dans les modèles macroéconomiques des institutions financières (type FMI, OCDE…). Y remédier permettrait d’ouvrir la voie à de nombreux autres acteurs, ainsi que de détecter plus aisément les points de défaut dans l’analyse de marché, les prévisions financières ou la bourse. Dans le sillon de la BCE, il conviendrait que l’ensemble des institutions financières et gouvernementales intègrent cet enjeu climat dans leurs modèles.
2- Mise en place du recours à l’emprunt pour les Etats auprès de la BCE
Depuis le traité de Maastricht de 1992, les États n’ont plus la possibilité d’emprunter auprès de la banque centrale comme aux Etats-Unis. De ce fait, ils doivent se refinancer sur les marchés financiers, ce qui implique une forte spéculation, les poussant à emprunter à taux élevé. Permettre le recours à l’emprunt auprès de la BCE accélèrerait fortement la transition, particulièrement dans l’hypothèse d’investissements verts.
C’est par ailleurs la proposition faite par les signataires du Pacte Finance Climat, proposant de faire de la Banque Européenne d’Investissement, une Banque du Développement Durable chargée de fournir aux États membres des financements qui seront intégralement utilisés pour la transition énergétique. Un Traité européen donnerait à chaque pays un droit de tirage correspondant à 2 % de son PIB : la France aurait chaque année 45 milliards à taux 0, l’Allemagne près de 65 milliards.
3- Des prêts orientés vers les infrastructures vertes
Dans la continuité de la réflexion commencée au point 2, nous pourrions imaginer, afin de favoriser effectivement le développement d’une finance durable, qu’une part des prêts accordés par la BCE aux banques privées soit uniquement destinée au financement d’infrastructures vertes.
Toujours pour les banques privées, la mise en place du “Green Supporting Factor” (GSF) pourrait permettre l’accélération du financement de la transition. En allégeant la charge en capital sur les financements “verts”, il permettrait d’accélérer l’orientation des investissements en faveur du climat et de réduire le risque climatique dans les bilans bancaires conformément aux objectifs du Conseil de Stabilité Financière. Le GSF s’appliquerait à des financements bancaires “ verts “, pour l’ensemble des acteurs économiques, particuliers, PME, entreprises et Etats. Les actifs éligibles seraient basés sur des critères unifiés au niveau européen, qui pourraient s’inspirer d’initiatives ou de labels existants, tels que la Climate Bond Initiative, ou le label français Transition énergétique et écologique pour le climat.
4- Le signal du prix carbone
La BCE, au même titre que les États, jouit d’une capacité d’influence réelle sur les négociations relatives à la réglementation des droits carbone. Plusieurs experts et économistes proposent donc que soit mis en place un « corridor carbone », afin de maitriser la spéculation sur les droits à polluer. Il s’agirait concrètement de fixer un prix plancher, et d’interdire strictement tout deal à la baisse et/ou sur les dérivés. Ainsi, au-delà des spéculations actuellement pratiquées sur sa valeur, le prix carbone servirait effectivement l’objectif ayant motivé sa mise en place.
Par ailleurs, le marché des droits carbone doit aussi se développer et se standardiser dans le cadre des compensations volontaires pour accompagner les acteurs souhaitant s’engager au delà des obligations légales et de la réglementation.
Bien souvent malheureusement, ces différentes propositions se heurtent aux limites de notre système monétaire actuel ainsi qu’à l’impuissance de ce dernier, tout particulièrement en matière de taux directeurs. En effet, durant ces dernières années, la BCE n’a pas cessé de baisser ces taux directeurs, espérant pousser les banques privées à prêter et investir davantage dans l’économie réelle. Pourtant, ce n’est que très récemment que l’évolution des emprunts — et ainsi de l’inflation — est à la hausse.
III. Vers une refonte du rôle de la Banque Centrale ?
À travers le monde, d’autres solutions sont à l’étude afin de stimuler la croissance, se risquant à remettre en cause le fonctionnement et le rôle de la BCE tels que nous les connaissons aujourd’hui. Il semblerait qu’une de ces idées en particulier mérite notre attention. En effet, en Islande, est étudié par le Premier ministre, un rapport du Parlement proposant de retirer le pouvoir de création monétaires aux banques privées afin de lutter contre la crise persistante et de mettre en marche un cycle de croissance durable. Ancien Président de l’Autorité financière britannique, Aldair Turner indique en ce sens dans ce rapport que « la création monétaire est une matière trop importante pour être laissée aux banquiers ».
Partant du constat qu’échappe à la BCE le contrôle des objectifs fixés, ce rapport propose que soit profondément repensé son rôle. Concrètement, il s’agirait de mettre en place au sein de la BCE, deux comptes pour chaque banque privée comme suit :
Le premier compte est réservé aux activités de détail. Il est intégralement garanti par l’Etat.
Le second compte est réservé, lui, aux activités de marché. Si ces activités ne bénéficient pas d’une garantie étatique, dans l’hypothèse de faillites d’établissements bancaires, ce dernier protégerait tout de même l’épargne directe de sa population.
Avantages
→ Responsabiliser les banques
→ Prévenir toute crise bancaire qui toucherait l’économie réelle
→ Diminuer voire supprimer le risque de « bankrun » face aux difficultés que peut éprouver un établissement de crédit par la mise en place d’une double garantie des encours :
– Muraille de Chine de la BCE
– Garantie étatique illimitée
→ Assurer une gestion optimale de la masse monétaire, de la croissance et de l’inflation par la BCE qui pourrait :
– Créer de la monnaie lorsque nécessaire
– Rediriger les flux de financement vers une transition écologique
Si la monnaie a aujourd’hui un rôle clef au sein de notre économie, il serait plus correct de traiter « des monnaies » dans la mesure où l’euro n’est qu’une espère parmi de nombreuses autres du même genre qui elle-même se noient au milieu de la multitude des devises et modes de paiement existants. En ce sens, la thèse de la diversification des monnaies présentée par Bernard Lietaer, démontre d’ailleurs que notre économie a besoin de cette diversité dans la mesure où elle crée une croissance durable et qualitative.
On pourra citer ici à titre d’exemple la banque suisse WIR[1], en Suisse. Représentant l’une des plus grandes monnaies parallèles d’Europe, elle existe depuis plus d’un demi-siècle, suivant un fonctionnement relativement simple : elle conserve à tout moment la même parité que le franc suisse, et ne circule qu’entre les entreprises qui l’utilisent. À ce jour, près de 20% des PMEs suisses utilisent le WIR, soit environs 60 000 entreprises. Grace au WIR, ces entreprises peuvent notamment proposer des réductions en WIR, faire travailler les entrepreneurs locaux, et créer de la croissance. Particulièrement utile en période de crise, elle permet aux entreprises de se soutenir sans devoir recourir aux francs suisses et ainsi de relancer l’économie.
Une meilleure maitrise de la monnaie principale, articulée avec des monnaies complémentaires apparait donc comme une des clefs d’une croissance durable et saine. Cette stratégie permettrait en effet de mettre en place un cercle vertueux (stabilité des prix, l’inflation, la protection des épargnants, la croissance, les investissements verts…), tout en laissant les banques privées pratiquer leurs activités de marché. Une réflexion sur les outils à la disposition de nos institutions doit être menée à bien afin de permettre aux intervenants d’investir dans le bien commun.
[1] WIR, abréviation du mot « wirtschaft » signifiant « économie » en allemand.